"Le monde retrouvé de Louis François Pinagot" peut se lire comme un roman policier. Alain Corbin, historien, part dans cet ouvrage à la recherche de l’environnement d’un parfait et total inconnu, sabotier de métier, au dix neuvième siècle, dans le centre de la France.

"Le monde retrouvé de Louis François Pinagot" d'Alain Corbin

"The Young Sabot Maker" Henry Ossawa Tanner  (1859–1937)
The Young Sabot Maker" Henry Ossawa Tanner (1859–1937)

Cette lecture fut recommandée par Ivan Jablonka (merci!) à Vallouise, dans les Hautes Alpes, lors d’une rencontre littéraire en février 2017. Jablonka parlant de son livre "Laëtitia ou la fin des hommes" expliqua s’être inspiré de la démarche de Corbin. Décrire la vie de personnes, pas uniquement à travers de dates et événements, mais aussi grâce à toutes une série de perceptions sensorielles : les odeurs, bruits, lumières ressenties, sensations tactiles etc...

Ce livre participe d’une certaine manière (même si Corbin semble s’en défendre ?) à ce courant historique de la Microhistoire, étudiant la vie quotidienne des individus et non de grands ensembles humains à travers des dates, événements ou phénomènes de masses. Ces deux angles d’analyses semblant totalement complémentaires pour une compréhension fine de l’Histoire.

Alain Corbin décida donc de se rendre, le 2 mai 1995 à 15h00, aux archives de l’Orne.
"Les yeux fermés, j’ai saisi l’un des volumes de l’inventaire des archives...ma main a ainsi choisi la commune d’Origny- Le -Butin...J’ai ouvert les tables de l’état civil et j’ai laissé faire le hasard...Il m’a fourni deux noms : Jean Courapied (!) et Louis François Pinagot. Ici j’interviens : Jean Courapied est mort jeune ; le choisir priverait le jeu de tout intérêt. Reste Louis François Pinagot... "

A partir de cela, Corbin, sans décrire en détail l’histoire personnelle de Pinagot, trop peu de matière disponible, dresse un portrait très précis, basé sur de nombreux éléments scientifiques, factuels, du "monde retrouvé de Louis François Pinagot".

Ce livre d’Histoire relèverait presque d’une démarche de profileur, au sens policier. L’auteur tourne autour de son sujet et analyse tout ce qui peut l’être, grâce à des déductions partants d’éléments d’archives.

Le lecteur se trouve immergé dans la vie d’un simple homme, analphabète, travaillant dans les bois et fabriquant des sabots, traversant tous les moments forts de son époque (guerres, révolutions etc..) ainsi que les événements plus classiques de la vie (vie amoureuse, enfants, relations familiales et villageoises etc...).

Hutte de sabotiers en forêt (carte postale Emile Hamonic (1861-1943), vers 1900) Hutte de sabotiers en forêt vers 1900 : carte postale Emile Hamonic (1861-1943).

Un extrait relatif à l’usage de sabots :

"Le sabot impose une gestuelle, un rythme somatique…L’hiver la paille que l’on y met tient chaud. L’été, la fougère, plus légère rafraîchit. Le sabot durcit la corne de la plante du pied dont contrairement à la chaussure, il libère la nudité...L’espace sonore des campagnes retentit des claquements de ce marqueur de l’autre et de soi...A l’occasion le sabot constitue une arme redoutable..."

Nous nous retrouvons, pour notre plus grand plaisir, un peu comme des témoins, invisibles, effectuant un voyage dans le passé, au milieu de cette vie qui aurait du rester à jamais totalement anonyme et oubliée.

Plus d’informations concernant Alain Corbin sur la fantastique encyclopédie en ligne Wikipédia, la Micro histoire et sur le site de l’éditeur Flammarion.

Illustrations : Henry Ossawa Tanner "The Young Sabot Maker" - Emile Hamonic "Hutte de sabotiers"